Les réseaux sociaux se sont émus cette semaine de la vente de l’ancienne prison de Pontaniou à un promoteur privé qui se propose d’en faire une rénovation.
Alors qu’un article du Télégramme avait (il me semble) assez clairement donné toutes les informations de ce dossier (ici), certains ont cru bon de spéculer sur de possibles petits arrangements entre la ville de Brest et un promoteur, sur le dos d’un sacrifice de notre patrimoine historique. Qu’en est-il vraiment … ?
Reprenons le fil de l’histoire… qui commence il y a plus de 20 ans.
En 1997, la prison de Pontaniou a été acquise par la Communauté Urbaine de Brest auprès de l’Etat, au prix de 30 500 €, avec une clause de révision de prix à 152 500 € en cas de modification de zonage du POS (clause jamais activée et échue depuis 2007). L’objectif de cette acquisition par la ville était d’en avoir la maitrise foncière afin de décider plus tard de sa destination. Sans notre achat, il est probable que l’Etat l’aurait ensuite mis sur le marché privé d’ailleurs. Seul un entretien courant, adapté à des locaux inoccupés, a été effectué dans les lieux depuis cette date.
La prison est restée un non sujet pendant de nombreuses années et c’est bien la rénovation des Capucins (par la Collectivité) et du Bâtiment aux Lions (par l’Etat) qui a conduit à rendre visible la prison, par contraste entre ces deux très belles rénovations et ce bâtiment chargé d’histoire, mais délaissé.
La rénovation d’un tel bâtiment se chiffre entre 6 et 10 M€, pour un usage ensuite extrêmement contraint par la physionomie des lieux. Nous n’aurions pas pu en faire une école, un gymnase, une maison de retraite ou je ne sais quoi encore. La seule destination imaginable était d’en faire un nouveau lieu culturel ou de mémoire. Mais rappelons que nous sortons juste d’un très gros investissement de la ville en matière de culture avec la grande médiathèque (25 M€), dans un patrimoine historique préservé avec les Ateliers des Capucins. Rappelons ensuite que des bâtiments comme le musée des beaux-arts, l’école d’art et de musique, ou même le Quartz attendent de nous des investissements importants dans les années à venir, qui se chiffreront déjà en dizaines de millions d’euro. Rappelons enfin que si des idées de projets arrivent aujourd’hui, il n’y en eu quasi aucune depuis 20 ans que la prison est la propriété de la ville de Brest. Dans ce contexte, il n’était donc pas irraisonnable de penser à un projet privé.
Plusieurs offres ont vu le jour après l’ouverture des Capucins qui a clairement redonné un coup de projecteur sur le quartier et aux investissements futurs qui viendront encore, avec tout le travail de l’ANRU. Certaines de ces offres prévoyaient une démolition reconstruction, quand d’autres une rénovation du bâtiment. Seule cette dernière option a été privilégiée par la ville de Brest.
Comme le demande la loi, une estimation du bien a été sollicitée à France domaine. Ceux-ci vont rendre un avis mentionnant explicitement une réserve sur leur capacité à chiffrer un bien aussi atypique que celui-là. Ils vont donc procéder à un chiffrage théorique capacitaire de la parcelle, sans vraiment tenir compte du bâtiment existant. Au regard du droit donné par le PLUi de la métropole et de la surface de la parcelle, ils vont estimer qu’il est possible de construire un bâtiment de 4250 m². La référence foncière sur le quartier de prix de cession au regard des m² construits étant de 153 €/m² constructible, c’est ces deux chiffres qui vont donner la proposition de prix de France domaine : 4250 m² x 153 €/m² = 650 k€.
En interne à la collectivité, ce prix a étonné pour deux raisons. La première est le décalage du prix de vente déjà fixé par France domaine en 1997 et l’estimation d’aujourd’hui : +2000 % ! Si la monté des prix immobiliers sur Brest avait été de cette nature, nous aurions assurément une ville très différente aujourd’hui ! Même en prenant la clause de révision des prix, nous serions très hors norme : +325 %. Le second point d’étonnement est que c’est un autre service de l’Etat qui va contraindre la parcelle au travers des recommandations de l’ABF (Architecte des bâtiments de France), à la fois en terme de constructibilité et aussi en terme de qualité de rénovation et de respect du patrimoine existant.
Au regard de cette dernière contrainte et de l’objectif de respect de l’intégrité du bâtiment (devant s’appuyer sur une étude patrimoniale soumise à l’ABF) la constructibilité réelle de la parcelle est de 1630 m² et non les plus de 4000 m². C’est bien ce chiffre qui va conduire les services de la métropole à proposer un prix de cession de 1630 m² x 153 €/m² = 250 000 €. (CQFD !)
Après, il y a aussi tout un débat qui s’est installé sur la question des « logements de luxe » que devrait accueillir ce bâtiment. Qu’en est-il vraiment ?
Les promoteurs sont loin d’être fous (ceux qui le sont ne restent pas promoteurs longtemps vu les montants financiers engagés auprès des banques !) Pour commencer des travaux, un projet doit d’abord passer par un comité d’engagement auprès des banques qui demande une garantie de plus de 50% de pré commercialisation sur plans. Un projet de ce type ne voit pas le jour s’il ne rencontre pas une demande et donc un prix de marché. Sur ce quartier, on connaît les prix du marché en neuf avec les logements sortis sur le plateau des Capucins : entre 3000 et 3500 €/m² qui se sont d’ailleurs très rapidement vendus.
Ce type de rénovation cible des investisseurs qui loueront leurs biens 9 ans, en contrepartie d’incitations fiscales allant de 22 à 30 % du bien (loi Malraux). Le dispositif est peu utilisé sur Brest, mais est courant dans des communes ayant un centre-ville historique protégé. Le cout d’achat des appartements « de luxe » sera probablement entre 4500 et 5000 €/m², ce qui est plutôt haut pour Brest, mais bénéficiera d’une déduction fiscale de 30% (Loi Malraux en site NPNRU). Cela conduira dans les faits l’acheteur à investir dans un logement exactement dans le prix du marché brestois sur ce site, soit entre 3000 et 3500 €/m². Nous sommes très loin du « haut de gamme » à Rennes qui est à 5 000 ou 6 000 €/m².
Reste la question de la mémoire du site qui sera là aussi prise en compte. A la fois avec les habitants du quartier et le CCQ, mais aussi avec les associations d’anciens combattants qui souhaitent participer à la mémoire de ce lieu. La ville y est bien-sûr favorable.
Ce projet est une bonne nouvelle pour ce quartier. Loin d’amener de riches propriétaires dans une résidence de luxe refermée sur elle-même, le futur « Pontaniou rénové » logera probablement des locataires de la même façon que le plateau des Capucins juste à côté. En effet, le marché de la location sur Brest est plutôt dans des prix de marché assez tenus et étroits. Ce qui ne les empêchent d’ailleurs pas d’être parmi les plus rentables de France pour les investisseurs, comme le rappellent les promoteurs. Tout cela en remettant en valeur un patrimoine à fort potentiel qui aujourd’hui n’apporte pas à notre ville.
Voilà, en résumé, cette opération est gagnante pour tout le monde et c’était comme toujours l’objectif visé. Une bonne opération en fait !