« Monsieur le Maire, Chers collègues,
Dans son rapport annuel publié jeudi dernier, le Secours Catholique a donné l’alerte sur l’augmentation de la pauvreté en France.
40% des ménages précaires sont aujourd’hui dans l’incapacité de couvrir les besoins les plus essentiels de leurs familles, et 12 % de la population doit faire appel à l’aide alimentaire.
10 millions... 10 millions de pauvres en France. Toujours selon ce rapport c’est le seuil dramatique que notre pays franchira d’ici la fin de cette année 2020.
Au-delà de ses conséquences sur la santé, il est désormais établi que la crise sanitaire a également généré une crise sociale de grande ampleur et a conduit, cette année, à une grave augmentation de la pauvreté dans notre pays. Depuis le début de la pandémie, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a explosé.
Les associations caritatives, en première ligne sur ces questions, apportent chaque jour des solutions aux difficultés des plus précaires. La crise n’est pas terminée mais déjà, elles enregistrent plus de 8 millions de bénéficiaires… Triste record ! Misère !
Au-delà de ce constat édifiant, et derrière ces chiffres, ces associations nous alertent également sur les dimensions cachées de la pauvreté : angoisse, anxiété, ruptures relationnelles, isolement, problèmes de santé, sentiment de honte…. Etre pauvre, ce n’est pas seulement manquer d’argent : c’est aussi souffrir psychiquement, psychologiquement et émotionnellement.
Vivre la pauvreté, c’est aussi être étiqueté, stigmatisé en permanence, ne pas être traité comme une personne à part entière, être vu seulement comme un problème.
Certains mettent encore en avant la responsabilité individuelle des personnes pour justifier la pauvreté, et les petites phrases du gouvernement en disent long sur ce raisonnement cynique et sur l’imaginaire qu’il charrie.
Le président de la République dit par exemple, et assez ouvertement, que : « plus l’on augmente de manière unilatérale nos minima sociaux, plus on rend difficile le retour à l’activité. » Une manière détournée d’exploiter sans vergogne le thème de l’assistanat.
Il est trop facile de jeter un voile sur les causes réelles de la pauvreté pour ne pas admettre que cette responsabilité incombe à notre société et en premier lieu à l’Etat.
Il est vrai que la crise sanitaire a accéléré la pauvreté. Mais elle a aussi révélé au grand jour les conditions de vie précaires de millions de personnes, aujourd’hui, en France, et révélé au grand jour leurs privations quotidiennes.
Des millions de personnes... Nous pensons bien évidemment aux étudiants, aux travailleurs pauvres, aux personnes qui ont perdu leur emploi : toutes les personnes qui, finalement, sont à la lisière du basculement vers la pauvreté.
Elus socialistes, nous alertons souvent, au sein de notre conseil municipal, sur l’augmentation des inégalités sociales dans notre pays. Nous ne parlons pas là de statistiques désincarnées, déshumanisées mais bien d’une concentration des richesses pour quelques-uns, quand des millions d’autres sont dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins essentiels.
Plus que jamais, se pose à nous un vrai choix de société.
On peut décider de continuer ainsi, décider de ne pas agir contre un capitalisme prédateur qui sacrifie les services publics, qui sacrifie des emplois au bénéfice du profit, d’une rentabilité. C’est un choix effectivement, mais c’est celui qui augmente inévitablement les inégalités.
On peut au contraire décider de consolider notre Etat providence, ériger le bien-être humain en valeur supérieure et agir pour une meilleure protection sociale.
Ce n’est hélas pas le sens des priorités du gouvernement.
Avec sa réforme de l’assurance chômage, réforme extrêmement brutale et violente qui n’a pour but que de durcir le droit d’accès à l’assurance chômage et d’abaisser le montant des allocations pour plus de la moitié des chômeurs aujourd’hui, ce gouvernement s’enferre en effet dans sa vision libérale.
Souvenez-vous... Cette réforme devait s’appliquer en janvier de cette année, puis en avril, puis en septembre… On parle maintenant d’avril 2021.
Si le gouvernement considère que c’est une bonne réforme, pourquoi ne pas l’appliquer dès maintenant ? Pour la triste raison, chers collègues, que cette réforme va pousser dans la pauvreté une frange encore plus importante de la population.
Le ministre de l’économie, interviewé ce matin sur les ondes nationales, expliquait d’ailleurs assez simplement comment les réformes engagées par le gouvernement allaient permettre de rééquilibrer les dépenses du pays.
De même, au-delà des effets d’annonce sur la stratégie du gouvernement contre la pauvreté, on trouve très peu de mesures pour les plus pauvres dans le projet de loi de finances 2021. Dans son plan de relance sorti en septembre, l’aide aux plus précaires représente moins de 1% du budget alloué.
Face à cette crise inédite, il nous semble, élus socialistes, que ce plan devrait au contraire activer des mécanismes de solidarité pour les plus démunis.
Les parlementaires socialistes ont d’ailleurs fait des propositions en ce sens : abrogation de l’assurance chômage, revalorisation des APL, revalorisation du RSA dès 18 ans et moratoire sur les frais bancaires des plus démunis.
Les députés socialistes Boris Vallaud et Hervé Saulignac ont lancé une consultation citoyenne afin de co-construire une proposition de loi sur l’aide individuelle à l’émancipation solidaire.
Cette aide serait composée d’un revenu pour tous dès 18 ans qui serait versé automatiquement, sans conditions et de manière dégressive en fonction des revenus. Cette proposition va dans le sens de celle des 19 présidents et présidentes socialistes de département qui demandent depuis 2 ans maintenant une réflexion sur un revenu de base.
Cette aide serait aussi composée d’une dotation universelle pour que démarrer dans la vie ne soit pas le privilège de quelques-uns. Une dotation, d’un montant de 5000 €, versée sur le Compte Personnel d’Activité de toute personne à ses 18 ans pour des projets de formation, de mobilité, d’engagement ou d’entreprenariat.
Cette proposition socialiste vise en priorité à donner à la jeunesse les moyens de son émancipation dans un impératif de justice sociale et de solidarité.
Car les jeunes en particulier, qui représentent déjà plus de la moitié des personnes pauvres en France, sont durement frappés par cette crise, alors même qu’ils n’ont pas accès aujourd’hui aux minima sociaux.
Mes chers collègues, il serait grand temps que le gouvernement prenne conscience, avec l’année que nous venons de vivre, que la grande colonne vertébrale de notre société, c’est l’Etat social.
Il serait grand temps de tirer les leçons de cette crise sanitaire, économique et sociale pour garantir le bien-être collectif qui nous fait tant défaut aujourd’hui.
Je vous remercie. »