Qu’est-ce que la charte Ya d’ar brezhoneg ?
C’est une charte qui a été initiée par l’Office Public pour le développement de la langue bretonne. Au début des années 2000, cette charte était d’abord destinée aux entreprises qui développent la place de la langue bretonne dans leur activité. De nombreuses entreprises historiques ont participé au lancement de cette charte. L’objectif est que les entreprises qui produisent localement et qui bénéficient d’une forte image de marque liée à la Bretagne puissent aussi communiquer en breton. Très vite, la campagne Ya d’ar brezhoneg a été ouverte aux communes puis aux intercommunalités. La philosophie de départ a donc évolué : dans les collectivités locales, il s’agit avant tout de faire vivre la langue bretonne et de lui donner de la visibilité dans l’espace public.
Qu’en est-il à Brest ?
La ville a signé la charte il y a quelques années et nous venons d’obtenir depuis peu le niveau 1. Ce premier engagement était important pour nous puisqu’il a permis de partager, de convaincre et de faire de la pédagogie. Pour obtenir la labellisation du niveau 1, nous avons intégré la langue bretonne dans le fonctionnement quotidien de la collectivité à travers dix actions. Parmi celles-ci, on peut citer la mise en valeur bilingue du patrimoine de la commune ou encore le développement d’une filière bilingue à Brest. Nous allons désormais vers le niveau 2.
Quel est l’intérêt d’aller plus loin ?
Au-delà des actions très visibles en externe comme l’installation de panneaux bilingues ou la traduction d’une partie des guides en breton, le label niveau 1 a permis à la collectivité d’avoir une entrée plus institutionnelle. Nous avons travaillé à asseoir le dispositif en interne, notamment par la formation du personnel et par la mise en place d’une communication spécifique au sein de la collectivité. Nous avons beaucoup avancé ! Aller désormais vers ce niveau 2 va nous permettre de capitaliser sur le travail réalisé et de poursuivre nos objectifs de visibilité de la langue bretonne sur le territoire.
Peux-tu nous citer de nouvelles actions qui vont permettre de rendre plus visible le breton dans le quotidien des habitantes et habitants ?
Deux actions me semblent emblématiques. Pour commencer, l’installation de plaques de rue bilingues. Bien sûr, on ne va pas changer les plaques de rue d’un seul coup ! Mais au fur et à mesure du renouvellement des anciennes plaques, nous les remplacerons par des plaques bilingues. Il faut savoir qu’en temps normal, il y a un renouvellement de certaines plaques tous les ans. Désormais, les Brestoises et Brestois verront à la fois du français et du breton sur les plaques de rue ! Le renouvellement de toutes les plaques prendra du temps mais cela va se diffuser petit à petit.
L’autre action emblématique, qui est sans doute la plus importante à mes yeux, est la mise à disposition des habitantes et habitants de formulaires bilingues pour les actes administratifs courants (inscriptions à l’école ou à la cantine, demande de subvention, réservations de salles…). Ce sera utile pour les personnes qui souhaitent réaliser leurs démarches en breton mais aussi en termes de visibilité de la langue bretonne. Je m’explique : dans ses démarches quotidiennes, une personne qui ne parle pas breton verra qu’il existe une autre langue sur ce territoire. Le français et le breton seront à égale dignité sur les formulaires. De même que pour les plaques de rue, au fur et à mesure que nous referons des formulaires, nous les ferons en bilingue. Ainsi, ces deux actions ont une symbolique très forte tout en n’induisant pas un coût prohibitif pour la collectivité.
La politique de promotion de la langue bretonne à Brest passe uniquement par les actions de la charte ?
Il s’agit d’une politique qui va au-delà de la charte. Rendre plus visible le breton passe par des actions que nous avons réalisées dans le tramway, aux Ateliers des Capucins… Cela passe aussi par le soutien à l’association Sked dont nous allons accompagner le déménagement prochain dans des locaux publics en centre-ville. L’apprentissage du breton est déjà engagé, en autre, par le développement des classes bilingues dans l’enseignement public. Jusqu’en 2012, il n’y avait à Brest qu’une seule école publique bilingue. Depuis cette date, nous avons créé deux filières supplémentaires et une quatrième filière est en cours de réalisation. Ce qui fait donc quatre écoles publiques bilingues à Brest, une école Diwan qui est sur deux sites, et une école privée bilingue à Lambézellec.
Quelle est donc l’utilité d’obtenir la charte niveau 2 ?
La charte, quel que soit le niveau atteint, ne fait pas tout mais c’est un réel levier pour amener des évolutions et progresser sur ce sujet. L’intérêt de la charte est qu’elle donne des objectifs à atteindre, ce qui fait rentrer la collectivité dans une dynamique. Nous avons signé la charte puis mené des actions dans le cadre du niveau 1 mais, comme je l’ai évoqué, nous ne nous sommes pas arrêtés là car le label permet de légitimer la question de la langue bretonne dans tous nos services au-delà même des simples actions « labellisables ». Un autre exemple, les médiathèques de Brest sont vraiment très performantes sur la question de la langue bretonne. Elles développent beaucoup d’animations pour les enfants alors que ces actions ne font pas forcément partie des items à remplir pour obtenir la charte. Pour autant ces actions sont essentielles car étroitement liées à notre démarche de promotion de la langue bretonne.
Que répondre aux personnes qui réduisent le breton à du simple folklore ?
La charte Ya d’ar Brezhoneg nous invite à avancer sereinement pour que le bilinguisme français breton ne soit plus demain, pour personne, une originalité, une excentricité, mais une dimension naturelle de notre territoire. C’est-à-dire que la langue bretonne ne devienne pas une incongruité. Si l’on prend l’exemple d’autres pays européens, les personnes sont complètement bilingues de par leur singularité régionale. Ce n’est pas incongru et ça ne choque personne ! Parce que le problème de la langue bretonne, c’est qu’elle a été bridée voire quasi-interdite. Il faut donc revoir le breton dans l’espace public, dans lequel il n’avait jusqu’à récemment peu de place.
Mais certains esprits chagrins te diront que les langues régionales fragilisent la République…
Il existe plusieurs manières d’aborder le bilinguisme français breton. Bien entendu, il s’agit pour des locuteurs de comprendre et d’être compris. Mais plus encore, pour notre ville et métropole, l’enjeu est de rendre visible de toutes et tous la place et la part de la langue bretonne. Non pas en opposant les deux langues mais en faisant comprendre à toutes et tous que cette visibilité de la langue, ce bilinguisme est un atout pour notre territoire. C’est pourquoi le breton a toute sa place ici ! L’enjeu est donc de dire : Brest est une ville en terre bretonne et bretonnante. Nous avons donc vocation à faire en sorte que la langue bretonne qui est en difficulté puisse perdurer, notamment par la question de l’apprentissage et par la visibilité qu’on lui donne. Car concrètement, si on ne fait rien, la langue disparaîtra !
Donc le véritable enjeu est de préserver la langue bretonne sur le territoire ?
Tout à fait, en la faisant rentrer dans les mœurs et le quotidien des gens. Je l’ai dit, si on ne fait rien, la langue disparaîtra. Et je pense sincèrement que lorsqu’une langue disparaît, c’est l’humanité dans son ensemble qui s’appauvrit. Car il y a des langues qui disparaissent tous les ans ! On peut tout à fait ne pas partager cet avis. Mais la diversité des langues regroupe différentes histoires et façons de penser. Le multilinguisme permet de ne pas avoir une vision monochrome du monde et d’éviter de tomber dans des lieux communs. Pour certains, la modernité serait l’usage d’une seule et même langue. Je n’y crois absolument pas. La diversité des langues n’est pas un obstacle mais une richesse. Elle permet une ouverture d’esprit. Et d’ailleurs pour les gens plurilingues, cette question ne pose aucun problème ! Je crois que les choses ont évolué dans le bon sens et mine de rien, on a beaucoup bougé sur la question. Globalement, les gens ne considèrent plus que les langues régionales soient un danger pour la République ! La langue bretonne a pris un coup de jeune et ne doit-on pas se réjouir que des personnes qui le souhaitent puissent utiliser la langue bretonne dans leur vie quotidienne ? Dans des années évidemment, on est sur du long terme !